POURQUOI JE SUIS PARTIE, POURQUOI JE RESTE ET PUIS REPARTIR, POURQUOI PAS ?

#HistoiresExpatriées.

Le contexte

Baby Frog avait 1 mois. Il était 16.23 ou peut-être 22.56.

Un dimanche ou peut-être bien un mardi. Je sais plus car je me réveillais toutes les deux heures pour nourrir un bébé glouton qui ne pouvait dormir que SUR moi, et qui le reste du temps était accrochée à moi tel un kangourou.

On était donc mercredi 12.14. Moi, le cheveu hirsute et quelques kilomètres de cernes sous les yeux avec 2 neurones qui se connectent laborieusement entre eux.

Daddy Frog me dit: « Tiens, y’a un mec au Canada qui me propose quelque chose… »

Moi : « Ah oui, super, envoie ton CV ».

J’avoue, avec la fatigue, un bébé glouton, les hormones qui en un rien de temps, vous transforment en tempête tropicale de niveau 12 puis la seconde d’après en cochon d’Inde larmoyant, je n’étais pas au top de mes capacités cognitives. Surtout, je n’y croyais absolument pas.

Notre contexte familial était pourtant assez bancal. Daddy Frog avait été muté à Paris, alors que nous, les filles, étions restées en province. Son nouveau poste était absolument inintéressant et il cherchait très clairement à partir.

De mon côté, mon activité d’architecte libérale me sortait vraiment par les yeux, l’idée de me lever le matin me provoquait des vagues d’angoisse, j’aurais préféré me faire rouler sur les pieds par un tractopelle plutôt que de gérer mes clients hargneux et de surcroit, je gérais la maisonnée en m’occupant seule la semaine de mes deux petits asticots.

Autant vous dire, qu’avec le peu de sommeil dû à une Baby Frog insatiable qui se réveillait toutes les deux heures (nuit compris sinon c’est pas rigolo), une Princess Frog légèrement perturbée par l’arrivée de sa sœur et le départ de son père à Paris, j’étais au sommet de ma forme et mon moral était aussi haut que…une bouse de vache. Vous voyez un peu la situation…

2 jours après son envoi de CV, Daddy Frog avait un contrat…. Zut !

Je connecte 2 secondes mes neurones engourdis, alors que bébé glouton sourit aux anges après avoir tété pendant 1 heure, me laissant peu de répit et je me dis : « non mais il m’a dit quoi là ??? Je lui ai dit d’envoyer son CV et 2 jours après il me dit qu’il a un contrat au Canada ??? Non, mais il se moquerait pas un peu du monde, là !!!  »

La tempête tropicale, Mummy Frog, commençait à se lever… Attention, tous aux abris !

Le Canada, franchement, je n’y avais jamais, mais alors jamais pensé.

Le Canada, j’ai l’impression que c’est un mythe pour bon nombre de français. Je ne sais pas si ce sont les grandes étendues sauvages, les paysages à couper le souffle, les aurores boréales, l’accent québécois, le mythe américain mais ce que je sais c’est que dès que nous prononcions le mot « Canada », la plupart des personnes croisées me disaient : « Ahhhhh, c’est génial, mon cousin (ça marche aussi avec ma tante, mon père, mon chien, mon canari, mon hamster) a adoré/adore vivre là-bas. C’est trooooop génial !!!! »

Mouais… Moi, comment vous dire, j’aime déambuler dans les villes, j’aime flâner en terrasse à boire mon thé au soleil, j’aime porter des robes légères, j’aime prendre l’apéro chez les copains tout en regardant les étoiles, j’aime les vieilles pierres, j’aime entrer dans une boulangerie et croquer dans une baguette croustillante bien fraiche. Les grands paysages, c’est chouette mais a priori, c’était pas trop ma tasse de thé.

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Un bon thé en bonne compagnie !

J’avais quand même écrit dans ma « bucket list » (ou « qu’est-ce que tu as envie de faire avant ta mort », mais ça sonne quand même mieux en anglais) le souhait de vivre de nouveau à l’étranger. Notre première expatriation fut assez réussie, je dois le dire. Vivre au Pays des Rosbeef avait été une sacrée expérience.

J’avais aimé être expatriée, me sentir « Française », apprendre l’humilité qui va de pair avec le fait de parler une langue étrangère où les personnes ne comprennent absolument pas ce que tu veux dire, finalement te rendre compte que ton accent français est « so sexy » et te sentir un peu comme Monica Belluci au pays de la pluie.

On peut le dire, cette année et demie en Angleterre a été une franche réussite.

Je n’avais pas d’enfants, j’étais libre comme l’air, je rentrais dans un 36, je sortais presque tous les WE avec mes amie américaines et hollandaises à tel point que les barmans/videurs de boîtes de nuit de notre petite bourgade connaissaient mon prénom et me tapaient la bise « à la française », qu’à force ils auraient certainement créé une bière à mon nom tellement je faisais partie des murs !

On s’est mariés avec Daddy Frog en Angleterre avec comme officier d’état civil le sosie (véridique) de Mister Bean et on a fait la fête le soir dans un pub nommé « The coach and horses » . J’ai perfectionné mon anglais (je partais de trèèèèès loin), j’ai travaillé dans une agence d’architecture (pas forcément le meilleur souvenir…), j’ai goûté aux Fish and Chips, expérimenté le diner à 17h30, observé les anglaises sortir en mini-jupes, mini-hauts, maxi-talons aux couleurs improbables complètement ivres à 21.02, avachies contre notre porte, j’ai habité dans une maison avec un bow-window, j’ai roulé à gauche dans la campagne anglaise, j’ai fait la queue en ligne à l’arrêt de bus, à la poste, j’ai bu de la Guiness, mangé indien toutes les semaines, j’ai apprécié leur savoir-vivre et leur légendaire politesse, j’ai pleuré parce que personne ne me comprenait quand je demandais un thé, j’ai acheté une paire de bottes de pluie, puis 3 autres, j’ai démissionné de mon boulot en Angleterre car le boss était un psycho-maniaco-con, bref, je suis sortie de ma zone de confort.

Mais là, le Canada, ça prenait une tout autre tournure avec 2 enfants dont un nourrisson, une agence d’architecture à faire tourner, un crédit de maison à payer, une vie bien établie, des repères, des parents disponibles pour les petits-enfants, une assistante maternelle absolument géniale qui avait pris grand soin de Princess Frog et qui allait faire de même avec Baby Frog et surtout nous avions de très bons amis, du Saint-Joseph, du Saint-Marcellin et des bons apéros !!! Même si la situation était bancale, on avait posé nos valises quelque part.

Le voyage des larmes

Le peut-être-futur-boss de Daddy Frog le pressait pour avoir sa réponse.

Halte-là Monsieur, j’ai quand même besoin de voir de quoi il retourne au Pays des Caribous, parce que là, tout de suite c’est pas vraiment mon rêve, hein !

La condition fut posée : avant de prendre une décision et de devoir émigrer, je veux aller là-bas.

Et c’est comme cela que nous sommes partis pendant les vacances de la Toussaint en avion vers le Canada: Baby Frog 2 mois, Princess Frog 4 ans, Mummy Frog 36 ans et Daddy Frog…un peu plus !

On a atterri à Toronto, bébé glouton accroché à mes… appendices et hop ! En avant la petite troupe. C’était la première fois que je posais les pieds en Amérique du Nord et au travers du hublot, je repensais à mes cours d’archi avec une ville typiquement nord-américaine qui s’étalait à perte de vue sous mes yeux.

Tout était nouveau, tout était grand comme dans les films, tout était a-mé-ri-cainnnnn !

La peut-être-future-entreprise de Daddy Frog nous avait trouvé un logement plutôt confortable et loué une voiture. Nous sommes arrivés de nuit et nous n’avons donc pas réellement vu le quartier dans lequel nous étions. Le lendemain, le choc ! Où étaient Bree Van de Camp et les Desperate Housewifes ? C’était quoi ce quartier avec un arbre tous les 100 mètres et des maisons en bois qui se ressemblent toutes…

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Une vue de rêve…

Là, je dois le dire, j’ai commencé à avoir des sueurs froides, j’ai pleuré et je n’ai plus arrêté du séjour.

J’ai pleuré en voyant les maisons, j’ai pleuré en voyant la ville, j’ai pleuré à cause de la fatigue, j’ai pleuré aux chutes du Niagara, j’ai pleuré dans les parcs, j’ai pleuré le soir et puis aussi le matin, j’ai pleuré de voir les couleurs de l’automne canadien, j’ai pleuré à cause du décalage horaire, j’ai pleuré à cause du mauvais fromage, j’ai vraiment pleuré en voyant le prix du vin, j’ai pleuré pour tout et puis surtout pour rien. Mes hormones, la fatigue mais surtout l’appréhension qui grandissait me faisaient verser des torrents de larme.

Après 9 jours sur place à découvrir la région, nous sommes rentrés prendre notre avion et devinez quoi, j’ai pleuré à chaudes larmes dans la voiture.

De quoi avais-je peur ?

Peur de perdre mes repères, peur de perdre mes amis, peur de perdre ma liberté, peur de perdre mon statut, peur de perdre mon indépendance, peur de perdre le calme que j’avais construit, peur de perdre le cadre sécurisant dans lequel nous étions, perdre de perdre mon identité, peur de TOUT perdre.

Et pourtant, j’ai dit un « oui » un peu timide et nous sommes partis, en 3 mois.

Nous avons vendu notre maison, nos voitures, organisé 3 déménagements, versé des torrents de larme (oui encore), serré très fort nos amis dans nos bras, embrassé nos parents, organisé une grande fête pour dire « au revoir et à bientôt », dégoté une maison à louer là-bas, trouvé une école pour Princess Frog, dit au revoir à ses copines, changé des draps car bizarrement, allez savoir pourquoi, Princess Frog a recommencé à faire pipi au lit, clôturé mon entreprise, passé mes dossiers en cours à une amie architecte, envoyé ma lettre de démission à l’ordre des architectes, dit au revoir à ma mission d’architecte-conseil, dit au revoir à mon statut de libérale, re-dit au revoir à nos amis et pleuré, pleuré et pleuré… Bah, oui, on change pas une équipe qui gagne !

Et aujourd’hui, alors, pourquoi rester ?

Aujourd’hui, je me suis construite un nouveau cadre avec de nouvelles routines. Nous avons rencontré des personnes formidables qui deviennent petit à petit nos amis. Nous habitons une belle maison, assez grande pour accueillir nos amis de France et d’ailleurs. Nous conduisons des voitures américaines en déambulant dans les grandes avenues. Princess Frog va à l’école anglophone et corrige notre accent pourri français. Baby Frog a retrouvé le chemin d’une garderie et elle s’y plait, je maitrise le décalage horaire comme un déesse et j’arrive à garder des liens très forts avec mes amis en France, même si souvent la distance, ce n’est pas simple à gérer. On a même trouvé du très bon vin de l’Ontario et du Chedar du Québec à se rouler par terre !

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J’aime l’idée de devoir encore progresser en anglais. En même temps, cette maitrise sommaire de cette langue me permet de ne pas mettre d’étiquettes sur les gens. En France, on entend un accent, un prénom, une façon de parler et on met, même involontairement une étiquette. Oui, on fait tous cela. Ici, pas moyen de le faire puisque je ne sais pas faire la différence entre l’accent de Colombie-Britannique et celui de l’Ontario par exemple, je ne reconnais pas l’accent « bourgeois » d’un accent « prolo ». Je trouve cela très bien car cette non-connaissance me permet d’être probablement plus ouverte aux autres.

Ici, au Canada, je suis en train de créer ma nouvelle activité, nomade, que je peux exercer de n’importe où dans le monde avec une connexion WIFI et un ordi : Coach professionnelle (business, life coach).

Je profite de l’hiver canadien et de ses paysages enneigés et féériques. J’ai même goûté à la poutine (frite, fromage et sauce) … Mouais, mouais…A vous de juger…!

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J’ai passé Noël et mon anniversaire sous une tempête de neige. On accueille régulièrement nos hôtes de passage que sont les écureuils, les ratons laveurs, les dindes sauvages, les biches. On a passé le réveillon du jour de l’an avec mes parents aux chutes du Niagara à moitié gelées et fini dans un A&W pour le diner. (Burgers super bon!)

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Et puis, tout simplement on reste aussi parce qu’on ne se projette plus. Je ne sais pas si nous allons rester 2 ans ou toute notre vie. Je n’en ai aucune idée mais maintenant que je peux être nomade professionnellement, cette pression de l’activité n’en est plus une.

Repartir ? Pourquoi pas !

Et oui, pourquoi pas! Daddy Frog peut avoir des propositions de travail dans le monde entier. Pour le moment, son nouveau travail lui plait. Ce n’est pas simple, c’est même plutôt difficile mais stimulant. J’avoue aussi que ça fait du bien de poser ses valises, qu’on se sent bien ici parce que c’est relax, les gens sont cools. Et puis on a pas fini de déballer tous nos cartons, alors attendons un peu que les mini-frogs soient bilingues !

Mais qui sait ? Un jour, j’en aurais peut-être assez de mettre 22 sous-couches pour sortir en hiver et encore plus marre des moustiques et de la moiteur de l’été, des écarts de températures de plus de 60° entre les saisons et j’aurais envie de mer et de chaleur !

Je suis comme cela, j’aime mon confort mais je m’ennuie très vite. Très très vite…! J’aime les nouveaux défis, les nouveaux horizons, découvrir de nouveaux paysages, des nouvelles façons de vivre. J’aime sortir de ma zone de confort, j’aime me pousser intellectuellement, professionnellement, j’aime me remettre en question.

Alors un jour, qui sait, mon blog se baptisera peut-être Frogs in Australia ou Frogs in Thaïlande ou encore peut-être Frogs back to France ! Oui, qui sait ?

 

 

 

 

 

10 commentaires Ajouter un commentaire

  1. lilimoustiquette dit :

    Frogs back to France nous irait bien !
    Xxx
    See you

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  2. Curiosity Escapes dit :

    Quelle belle histoire. En même temps un peu flippant de tout vendre (voiture, maison), fermer son entreprise et aller dans un pays étranger pour bosser dans une boîte dont on ne connait pas grand chose, ni les collègues. Un coup de poker finalement. Mais ça doit être tellement grisant en même temps et puis avec le Canada je pense qu’on ne peut pas vraiment se tromper sur la destination.
    En tout cas votre histoire me rend admirative.

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    1. frogsincanada dit :

      Sacré challenge avec une famille en effet! Ça fait sortir de sa zone de confort et au final j’aime ça!

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  3. Stéphanie dit :

    C’est marrant comme on peut aborder deux expatriations de façon totalement différente !

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  4. Lucie - L'occhio di Lucie dit :

    J’aime beaucoup la sincérité qui transparait dans ton texte, l’intensité des émotions ! Quel challenge ! Tu nous montre un visage plus adulte de l’expatriation, moi qui n’ai connu que le départ seule, où on ne laisse derrière soi que les amis et les proches. C’est inspirant !

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    1. frogsincanada dit :

      Merci Lucie! Oui je suis un peu la vieille de la bande haha! C’est vrai qu’en famille les enjeux diffèrent et prennent une autre dimension.

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  5. Cécile dit :

    Oh, une compatriote à Toronto ! Je trouve que c’est très courageux de tout plaquer (ou presque) pour partir à (presque) l’autre bout du monde.

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    1. frogsincanada dit :

      Avec un petit peu de recul c’est assez fou en effet!

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  6. Val Edmond dit :

    Bravo pour ce récit. J’étais complètement pendue à tes mots 😉 je me reconnais un peu même si pour moi l’expatriation est quand même plus simple comme je n’ai pas d’enfant. Mais c’est exactement ça, les mêmes sentiments sont là, les larmes, la peur… avec une bonne dose d’excitation à la fois ! On se reconnaît dans ces #HistoiresExpatriées !

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